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jeudi 8 avril 2010

Des organisations internationales réclament justice dans l'affaire Manirumva

Burundi : Justice doit être rendue pour le meurtre d’un militant


Un an après le meurtre à l’arme blanche d’Ernest Manirumva, un militant anti-corruption, la vérité n’a toujours pas été établie

(Bujumbura, le 8 avril 2010) - Le président du Burundi doit prendre des mesures pour que justice soit rendue dans l'affaire du meurtre d'un militant anti-corruption, ont demandé aujourd'hui Amnesty International, le Projet EHAHRDP (East and Horn of Africa Human Rights Defenders Project) et Human Rights Watch. Le président burundais, Pierre Nkurunziza, doit demander au procureur général d'accélérer l'enquête et les poursuites dans cette affaire et de garantir la protection des témoins, ont ajouté ces organisations. Le militant en question, Ernest Manirumva, a été poignardé à mort il y a un an, le 9 avril 2009.

Un an après le meurtre, l'enquête n'a pas encore été achevée. Neuf suspects, parmi lesquels plusieurs policiers, ont été placés en détention provisoire. Toutefois, aucune date de procès n'a encore été fixée. Une commission d'enquête judiciaire a fait des efforts, depuis sa constitution en octobre 2009, pour établir la responsabilité du meurtre. Cependant, selon certaines organisations de la société civile, cette commission n'a pas exploré toutes les pistes possibles et n'a pas achevé son travail. Enfin, le Burundi ne disposant pas de programme de protection des témoins, certains d'entre eux n'osent pas se manifester.

« Le gouvernement du Burundi devrait s'engager ouvertement à agir pour que justice soit rendue dans cette affaire délicate », a indiqué Véronique Aubert, directrice adjointe du programme Afrique d'Amnesty International. « Le président Nkurunziza doit demander au procureur général de mener au plus vite une enquête approfondie, de garantir la protection des témoins et de traduire les coupables en justice, y compris ceux qui occuperaient des postes élevés au sein des forces de sécurité. »

Manirumva était vice-président de l'Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), une organisation de la société civile burundaise, et vice-président d'un organisme officiel de règlementation des marchés publics. Il a été retrouvé mort poignardé devant chez lui. Un dossier de classement vide, maculé de sang, a été trouvé sur son lit et des traces d'effraction dans un bureau où il travaillait comme consultant au ministère de l'Agriculture laissent penser que les meurtriers de Manirumva cherchaient des documents sensibles qu'il avait en sa possession. Peu avant sa mort, d'après ses collègues et ses amis, Manirumva enquêtait sur des affaires de corruption au sein de la police et de tentatives d'achat illégal d'armes à feu en provenance de Malaisie par la police.

« Si les autorités burundaises sont véritablement engagées dans la lutte contre la corruption, elles doivent dès que possible identifier et traduire en justice les coupables de ce meurtre, qui semble être lié au travail de Manirumva contre la corruption », a expliqué Hassan Shire Sheikh, directeur exécutif du Projet EHAHRDP. « Les autorités ont l'obligation d'apporter la preuve que les militants de la société civile peuvent librement critiquer le gouvernement sans risquer leur vie. »

Certains représentants du gouvernement ont également tenté d'étouffer les appels à la justice lancés par la société civile. À deux reprises en 2009, des organisations burundaises se sont vu interdire, par des représentants du gouvernement, d'organiser une marche manifestation dans la capitale, Bujumbura, visant à demander la justice dans l'affaire Manirumva. Lorsque, fin 2009, des organisations de la société civile ont fait des déclarations laissant entendre que la commission d'enquête du gouvernement n'explorait pas toutes les pistes, le ministre de l'Intérieur, Edouard Nduwimana, les a convoquées dans son bureau et les a accusées d'« s'ingérer dans le travail du système judiciaire ».

Certains membres des organisations qui ont publiquement dénoncé le meurtre et les défaillances des enquêtes judiciaires sur cette affaire ont eux-mêmes reçu des menaces. Deux d'entre eux, Pierre Claver Mbonimpa, président de l'Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), et Gabriel Rufyiri, président de l'OLUCOME, ont été informés en mars 2010 que des agents de l'État planifiaient de tuer l'un d'eux en maquillant l'assassinat en accident de voiture. À la mi-mars, Mbonimpa a déclaré avoir été suivi dans le quartier Carama à Bujumbura par une jeep bleue du Service national de renseignement (SNR). (Contacté par Human Rights Watch, le directeur adjoint du SNR a assuré que ses services ne possédaient pas de jeep bleue.) Mbonimpa affirme également avoir reçu des menaces par téléphone. L'un de ses interlocuteurs lui aurait dit : « Si tu continues de travailler sur l'affaire Ernest Manirumva, tu finiras comme lui. »

De même, en novembre 2009, Pacifique Nininahazwe, délégué général du Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), qui menait la campagne « Justice pour Ernest Manirumva », a été averti qu'un complot d'assassinat se tramait contre lui. Son organisation a ensuite été frappée d'interdiction par une ordonnance du ministère de l'Intérieur, qui a invoqué de soi-disant problèmes techniques au niveau des documents d'enregistrement du forum datant de 2006. Bien que le ministre ait ensuite « suspendu » cette ordonnance, le FORSC reste dans un vide juridique.

« Au lieu de menacer les organisations de la société civile et de leur mettre des bâtons dans les roues, les autorités burundaises feraient mieux de s'allier à ces dernières pour explorer toutes les pistes susceptibles de conduire à l'identification des assassins de Manirumva », a déclaré Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le président burundais doit faire tout son possible pour faciliter l'avancement de l'enquête et soutenir l'appel à la justice lancé par la société civile pour ce meurtre barbare. »

Les organisations ont appelé le président Nkurunziza et le gouvernement du Burundi à :

· mettre en place un dispositif de protection des témoins qui permette à ces derniers de faire leurs déclarations en toute sécurité et en toute confidentialité, en particulier pour ceux qui sont susceptibles de détenir des informations impliquant des membres des forces de sécurité;

· faire en sorte que le travail de la commission soit mené à son terme rapidement et en toute équité, et que toutes les personnes dont les preuves montrent la responsabilité criminelle dans cette affaire soient identifiées et inculpées, y compris celles qui ont commandité le meurtre;

· faire en sorte que les suspects actuellement placés en détention soient rapidement jugés tout en s'assurant que la recherche de preuves contre d'éventuels autres responsables se poursuive avant, pendant et après ces procès;

· soutenir les actions de la société civile telles que la campagne «Justice pour Ernest Manirumva» en autorisant les défilés et les rassemblements, et en cessant d‘intimider les groupes de la société civile;

· enquêter sur les affaires de menaces reçues par des activistes de la société civile qui demandent que justice soit rendue dans le cas de l'assassinat de Manirumva, et traduire en justice les auteurs de ces menaces.

Contexte

Le gouvernement burundais a pris certaines mesures pour retrouver les meurtriers de Manirumva. Une commission judiciaire a été établie le 22 avril 2009 afin d'ouvrir une enquête, mais celle-ci a entrepris peu d'actions. Après que les organisations de la société civile aient dénoncé l'inaction de la commission et le lien étroit existant entre son président et le chef du Service national de renseignement, un service qui, selon certains témoins, aurait joué un rôle dans l'assassinat de Manirumva, le procureur général a dissout la commission. En octobre 2009, il l'a remplacée par une commission dont les membres se sont montrés plus actifs et qui semblaient, aux yeux des groupes de la société civile, avoir des rapports moins douteux avec les membres des forces de sécurité.

Le gouvernement a accepté l'offre d'assistance technique proposée par le Bureau fédéral d'enquête américain (FBI) dans cette enquête. Si la première commission juridique a fait de l'obstruction, la deuxième s'est montrée plus coopérative et a permis aux agents du FBI d'interroger les suspects et de relever leurs empreintes et leur ADN. Les résultats de l'aide médico-légale apportée par le FBI n'ont pas encore été publiés.

Neuf suspects ont été placés en détention et inculpés. Cependant, au moins trois individus qui auraient pu fournir des informations sur l'affaire ont été tués ou ont disparu. Le 15 avril 2009, un agent du Service national de renseignement a pris la fuite pour le Canada avec un visa obtenu sous le faux prétexte qu'il devait participer à une conférence aux États-Unis pour le compte d'une entreprise nationale de production de café. Trois semaines après le meurtre de Manirumva, le 30 avril, un capitaine de la police, Pacifique Ndikuriyo, a été tué par balle à Bujumbura. En mars 2010, un policier nommé Ezéchiel Coyishakiye a disparu d'un hôpital psychiatrique où il était retenu sous garde armée, après avoir été arrêté dans le cadre d'une autre affaire criminelle. La police affirme ne pas savoir où il se trouve. La commission d'enquête étudie actuellement des témoignages selon lesquels ces trois individus auraient pu être directement impliqués dans le meurtre ou avoir su qu'il allait se produire.

Le procureur a donné l'ordre à la commission d'enquête de lui remettre un rapport sur ses conclusions dès qu'elle aura réuni suffisamment de preuves pour permettre d'entamer des poursuites. À ce jour, toutefois, la commission n'a encore produit aucun rapport.

Source: Human Rights watch

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